Le colonel Drumont pointa la carte suspendue derrière lui. Il désigna notre cible du jour. Ç’allait encore être coton comme mission. Heureusement, je faisais équipe avec Martin et Brandon. Ensemble, nous formions un trio de choc. La preuve : nous étions encore là. Un commando hors-pair des forces spéciales américaines. J’ajoutai un nouveau dans notre équipe : le sergent Schwarz-Müller. Personne ne connaissait son prénom. J’avais déjà accompli une mission avec lui. Un as du volant. S’il y avait bien quelqu’un pour nous amener à bon port, c’était lui.
Sitôt le briefing terminé, nous passâmes par l’armurerie. Nous nous chargeâmes chacun d’un M16 et de deux pistolets M9 Beretta plus maniables mais tout aussi mortels. S’ajoutèrent une ceinture de dix chargeurs pour la mitraillette et de dix autres pour les Beretta. Sans oublier quelques grenades, un couteau de survie et un poignard à double tranchant.
Nous étions prêts à l’attaque. Nous savions que les Irakiens allaient tout faire pour nous mettre des bâtons dans les roues. Nous avions l’habitude. Et pour l’instant, c’était nous qui gagnions. Haut la main !
Notre avion, un Hercules C-130, décolla depuis notre base à cinq heures de l’après-midi. À sept heures, nous nous installâmes dans notre Humvee M1109[1] surmonté d’une Browning M2 .50[2]. L’instant d’après, notre véhicule et nous fûmes parachutés dans le ciel irakien.
Nous atterrîmes à six kilomètres au sud-ouest de Faidah, en bordure du lac Mosul Dam. En temps normal, notre destination, le centre-ville de Mossoul, se situait à trois-quarts d’heure de là. Mais, aujourd’hui, hors de question d’entrer avec le Humvee. Schwarz-Müller devait nous déposer à un kilomètre du premier barrage que les Irakiens avaient dressé près de ce qui restait du centre commercial Walid inter markets. À nous de faire le reste du parcours à pattes. Soit une dizaine de kilomètres. La plupart du temps en terrain découvert ou au cœur de la ville. Par chance, à ce moment-là, il ferait nuit.
Ça, c’était la mission sur le papier. Seulement, la réalité du terrain était tout autre : après à peine cinq kilomètres sur la route deux, les choses sérieuses commencèrent. Les Irakiens avaient placé plusieurs bagnoles pour couper toute avancée. Une voiture normale aurait pu passer. Pas notre Humvee. Schwarz-Müller quitta l’asphalte et conduisit sur le sable.
Soudain, j’hurlai à notre chauffeur de s’arrêter. J’avais aperçu un reflet dans le sable. Je quittai le tout-terrain et m’approchai. Je reconnus sans l’ombre d’un doute une mine antipersonnel. Je ramassai un bout de goudron qui s’était détaché de la route et le lançai devant moi. Il rebondit pile sur le déclencheur. La mine explosa, envoya un geyser de sable dans l’air. Sous le souffle de la détonation, d’autres grains volèrent et dévoilèrent une dizaine d’autres engins explosifs.
Je regagnai le M1109.
— Il faut qu’on contourne la zone, indiquai-je.
— Le problème c’est qu’on ne connaît pas sa surface, fit remarquer Schwarz-Müller.
— Il faut repartir sur la route.
Le sergent hocha la tête. Il remit les gaz et remonta sur la deux. Il zigzagua tant bien que mal entre les barrages improvisés. Par deux fois, nous dûmes descendre, Brandon, Martin et moi, pour dégager le passage, pousser un véhicule qui gênait.
— Je crois que l’explosion a ameuté du monde, avisa soudain Brandon.
En effet, une jeep fonçait dans notre direction. Moins large que le Humvee, elle n’éprouvait aucune gêne à se frayer un chemin entre les obstacles. J’attrapai une paire de jumelles.
— Des Irakiens, déclarai-je.
D’un autre côté, qui cela pouvait-il être ? Toutes nos troupes étaient à la base. Il n’y avait que nous dehors.
— Ils sont trois. Brandon, à toi de jouer, commandai-je.
Je n’étais pas un très bon tireur. J’avais tué nombre d’ennemis avec une mitraillette. Mais, avec un simple pistolet, je ratai ma cible neuf fois sur dix. Pas Brandon. Un vrai tireur d’élite. Il ouvrit la trappe du toit et se cala derrière la M2.
Les Irakiens tirèrent les premiers. Le blindage du M1109 n’était pas suffisant pour résister aux balles des AK-47. Heureusement, Brandon montra une nouvelle fois sa dextérité. Un seul tir. En plein entre les deux yeux du chauffeur ennemi. La jeep fonça dans une vieille Renault à moitié carbonisée. Elle décolla, vola sur plusieurs mètres avant de venir s’encastrer dans une Ford. Les tireurs valdinguèrent par-dessus le pare-brise et se fracassèrent le crâne sur le sol.
***
Nous reprîmes notre route, sur nos gardes. Soudain, Martin aperçut un point noir voler dans notre direction. Peut-être était-ce un oiseau. Problème : aucun oiseau ne faisait un bruit de moteur. Seule une espèce de volatiles en était capable : un bon vieil hélicoptère. Martin cueillit les jumelles dans mes mains.
— Un Mi-8TVK, déclara-t-il.
— On est mal, les mecs ! lâchai-je.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Brandon.
— On descend et on se planque, ordonnai-je.
Notre trio quitta le Humvee. Par contre, Schwarz-Müller resta derrière le volant.
— Cachez-vous, cria-t-il avec un fort accent allemand.
— Il est hors de question qu’on te laisse là, arguai-je.
— Mais je ne compte pas rester là.
Il démarra en trombe, fit demi-tour et reprit son zig-zag entre les véhicules.
— Le con, il va se faire buter, s’écria Brandon.
— Il fait le nécessaire pour qu’on ait la vie sauve et qu’on puisse mener à bien notre mission, répondis-je à la fois bouleversé et fier du geste de notre chauffeur. Maintenant, planquons-nous.
Nous nous jetâmes chacun dans une voiture le long de la route. L’hélicoptère passa au-dessus de nos têtes sans nous voir. Ce n’était pas le cas de Schwarz-Müller. Celui-ci ne prenait même plus soin d’éviter les obstacles : il fonçait dans les carcasses, arrachant des bruits de tôle froissée à réveiller les morts. Surtout, il attirait le Mi-8 vers lui, loin de nous.
Soudain, il pila. Il jaillit de la trappe du toit et se posta derrière la M2. Il envoya une salve de tirs sur nos adversaires. Les balles rebondirent sur la carlingue. Les Irakiens ripostèrent. De manière expéditive : une S-5 quitta le lance-roquette droit et fila vers Schwarz-Müller. Celui-ci tenta de s’enfuir. Malheureusement, trop tard. La roquette explosa le Humvee. La déflagration frappa Schwarz-Müller dans le dos et le souleva tel un fétu de paille. Il atterrit sur un 4x4. Tous ses os craquèrent, du sang voleta autour de lui.
L’hélicoptère ne vint pas vérifier que notre conducteur était mort. Il fit demi-tour et repartit par où il était venu.
Nous quittâmes nos cachettes et courûmes vers Schwarz-Müller. Il pissait l’écarlate. Ses jambes étaient brisées en plusieurs endroits. Son bras droit était agrémenté d’une belle fracture ouverte. Sa main gauche n’était plus. Son visage était à moitié brûlé.
— Ça a marché ? s’enquit-il.
— Oui, confirmai-je.
Il me sourit. Puis il cessa de respirer.
***
— On est où ? questionna Martin.
Je pris la carte dans mon sac à dos et la dépliai sur le capot du 4x4.
— Je pense qu’on est ici, pointai-je une cible à une quinzaine de kilomètres de notre but.
— Faut compter trois bonnes heures, commenta Brandon.
— Tu es optimiste. Tu oublies que les sept derniers kilomètres sont dans Mossoul. Il faudra qu’on se planque, qu’on avance cachés.
— Je sais. Mais d’ici là, il fera nuit. Regarde, le soleil se couche déjà. Dans trois heures, on n’y verra pas à dix mètres. Et je doute que les Irakiens aient des lunettes à vision nocturne comme nous.
— C’est la pleine lune. Nous y verrons quasiment comme en plein jour. Quoi qu’il en soit, ne présageons de rien. Certaines de nos précédentes missions nous ont réservé leur lot de surprises.
— Tom a raison, intervint Martin. Prévoyons plutôt six heures. Notre but est de tuer le colonel Yazdi tout en restant en vie, pas d’être les plus rapides.
Brandon fit la moue. Il aimait bien quand ça allait vite. Il s’était déjà montré plus d’une fois imprudent. Nous avions dû réfréner ses ardeurs à de nombreuses reprises. Je croisais les doigts pour qu’il nous écoute aujourd’hui.
— Remettons-nous en route, commandai-je.
Nous atteignîmes le premier point sensible une heure plus tard. Les températures avaient dégringolé. Mais avec notre fatras sur le dos et les kilomètres de marche, nous transpirions plus que nous ne grelottions.
Le barrage du Walid inter markets était tenu par quatre militaires et surtout un char soviétique T-72. Si son canon était prévu pour descendre les avions ennemis, je craignais surtout la mitrailleuse PKT sur la droite. Le plus gênant était la clarté de la nuit : la lune éclairait le désert d’une lumière argentée suffisante pour voir sans matériel de vision nocturne.
— Nous allons faire le tour par l’est, dis-je à Brandon et Martin.
Le petit centre commercial n’en avait plus que le nom, après avoir subi un de nos nombreux bombardements des semaines précédentes. Heureusement, plusieurs murs tenaient encore debout. Idéal pour nous cacher de nos ennemis. Nous marchâmes à l’abri des voitures sur plusieurs mètres. Nous nous allongeâmes et rampâmes dans le sable jusqu’à ce qui restait d’une épicerie. Nous nous remîmes debout. Nous poursuivîmes notre périple derrière les ruines.
— Min hunak?[3] cria soudain une voix à quelques mètres devant nous.
Nous stoppâmes net et fîmes le mort.
— Qul huaytuk[4].
Devant notre silence, le soldat irakien avança dans notre direction, un AK-47 pointé vers nous. Je tendis le bras jusqu’à ma botte où était accroché mon poignard à double tranchant. Je le saisis et, d’un parfait mouvement digne d’un lanceur de couteaux dans un cirque, le lançai sur le garde. La lame se planta pile dans le cœur. L’homme mourut sur le coup. Mais son doigt se crispa sur la gâchette et envoya une rafale dans notre direction. Surtout, cela rameuta ses camarades. Et, manque de chance pour moi, j’avais mal compté. S’il n’y avait que quatre sentinelles près du char, plusieurs autres étaient restés cachés à mes yeux. Au final, ils étaient onze.
Les balles fusèrent des deux côtés. À force de rafales, je dégommai deux Irakiens. Idem pour Martin. Brandon, lui, tira à l’économique. Quatre balles. Quatre strike. Nous étions maintenant à égalité : trois contre trois. Mais nous avions tous trouvé refuge derrière des morceaux de murs. Nous pouvions encore nous tirer dessus pendant longtemps sans qu’aucun des deux camps ne gagne.
C’était sans compter avec l’impatience de Brandon. Il attrapa une grenade à sa ceinture, la dégoupilla et la jeta. Elle roula sur plusieurs mètres et s’arrêta entre deux des abris des Irakiens qui comprirent que, s’ils ne faisaient rien, ils mourraient sur place. Mais au lieu de se lever en nous canardant, ils se contentèrent de bondir et de prendre leurs jambes à leur cou. Une volée de balles de la part de Martin et de moi et les trois rejoignirent Allah. La grenade n’explosa qu’après.
— Tu aurais pu ne pas la dégoupiller, fit observer Martin.
— Surtout que cela risque d’ameuter d’autres de leurs camarades, râlai-je.
— Vous n’êtes jamais contents, répliqua Brandon en haussant les épaules.
— On pourrait peut-être prendre le T-72, suggéra Martin. En nous voyant approcher, les Irakiens penseront que nous sommes des leurs.
— C’est une excellente idée, le complimenta Brandon. En plus, ça nous évitera de marcher.
— Toujours aussi fainéant, gloussai-je.
— Non, pragmatique.
— Allez, nous avons une mission à accomplir, rappela Martin. Et l’heure tourne.
Avec prudence, nous nous approchâmes du char d’assaut. Si j’avais été le chef du groupe d’Irakiens, j’aurais ordonné que l’un reste sur place. Mais à première vue, tous étaient venus à notre rencontre. Nous n’allions pas nous en plaindre. Nous grimpâmes dans l’engin. Martin se mit au volant. Nous partîmes à l’assaut de Mossoul.
***
À notre grande surprise, après le barrage, la route deux était dégagée. Les cadavres des véhicules incendiés par nos bombes avaient été écartés de la route. Certains étaient même à moitié enterrés dans le sable à cause du vent qui balayait le désert irakien. En à peine dix minutes, nous atteignîmes le quartier d’Al-Arabi.
Tout était calme. Le couvre-feu était suivi à la lettre : les Mossioulotes étaient cloîtrés chez eux, dans l’attente du prochain lever de soleil. Nous croisâmes quelques soldats ennemis qui patrouillaient dans les rues. Certains nous saluèrent bien que nous ne montrassions pas le bout du nez.
Notre avancée fut brutalement interrompue quand nous arrivâmes à la bifurcation avec la route quatre-vingts. Là, une AML-90[5] pointait son canon dans notre direction. De gros blocs de béton formaient une ligne de pointillés sur l’asphalte, ce qui empêchait tout passage.
Un militaire se dirigea vers nous.
— Altariq maqtuea. Qum bialduwran lilkhalaf[6], ordonna-t-il.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Martin.
— Ils sont cinq. On les zigouille, proposa Brandon.
— Et on rameute tous les militaires du coin, contrai-je. Cherchons un autre chemin.
Nous fîmes demi-tour et prîmes une rue transversale au cœur d’Al-Arabi.
— Merde, râla Martin.
Le bout de la rue était lui aussi bloqué par un plot de béton.
— Akhraj min aldabbaba![7] cria une voix derrière nous.
Je fis pivoter la tourelle du char. Les soldats irakiens nous tenaient en joug.
— Quand ils nous ont vu tourner dans cette rue, ils ont dû se douter que nous n’étions pas des leurs, supposai-je.
— On fait quoi ? s’enquit Martin.
— On les zigouille, répéta Brandon.
Pour une fois, je ne voyais pas d’autre solution.
— Fais-toi plaisir.
Brandon ouvrit la trappe qui menait à la PTK. En se protégeant au maximum, il visa le commando ennemi et appuya sur la gâchette. Rien. Il réessaya. Sans plus de succès. Par contre, les AK-47 des Irakiens fonctionnèrent à merveille. Leurs balles ricochèrent sur le blindage du T-72. Brandon rentra à l’intérieur sans se faire prier.
— Ils ne sont même pas foutus d’entretenir leurs armes, cracha-t-il.
— Ils ne nous restent plus que la manière de bourrin, lâchai-je.
— J’adore cette manière-là !
Avant que je puisse donner le top départ, Brandon était déjà à moitié sorti du char et déchargeait les projectiles mortels de son M16. Il abattit un premier Irakien. Je sortis à sa suite. J’en chopai un aussi. C’était au tour de Martin. Il fit comme nous. Mais nos ennemis déversèrent leurs tirs sur la trappe de sortie. Martin n’eut aucune chance.
Brandon explosa de rage. Il bondit de derrière le char et inonda les Irakiens. Les trois moururent dans la seconde. Ils n’avaient pas encore touché le sol que Brandon se penchait sur Martin. Une balle s’était fichée dans son œil droit, une autre lui avait arraché une oreille, une troisième l’avait traversé de part en part au niveau du front. Il était mort sur le coup.
J’étais triste de la perte de Martin. Mais nous n’avions pas le temps de verser une petite larme : j’entendais déjà des bruits de pas qui venaient dans notre direction. J’attrapai Brandon par l’épaule et le forçai à s’écarter de notre ami. Nous nous enfonçâmes dans Mossoul à pieds.
***
Nous courûmes dans les rues, tentâmes de nous cacher autant que nous le pouvions. Nous quittâmes Al-Arabi et prîmes la direction du sud. Malheureusement, cette partie de la ville n’était pas habitée. Quelques hangars se dressaient, la plupart incendiés par les bombes que nous avions lâchées lors de précédents raids aériens. Nous passâmes en bordure d’un jardin public qui ne devait plus en accueillir beaucoup vu son état lunaire aux nombreux cratères.
Nous étions suivis par plusieurs militaires. Ils nous criaient de nous arrêter. Bien sûr, c’était hors de question. Nous essayâmes de rester le plus possible hors de portée de leurs tirs. Mais pour combien de temps ?
Nous atteignîmes le quartier d’Al Andalus. Lui aussi avait souffert. Plusieurs maisons n’avaient plus de façade et dévoilaient une chambre, une cuisine ou une salle de bains. D’autres n’étaient plus que ruines. Des tâches brunâtres de sang séché constellaient le décor apocalyptique. Des affaires ayant appartenu aux habitants trônaient au milieu des gravats.
Nous entrâmes au cœur des vestiges. C’était le meilleur endroit pour nous cacher. Je trouvai une épicerie à laquelle il manquait la porte. Brandon et moi nous y engouffrâmes. Nous traversâmes le bâtiment et sortîmes par l’arrière. Un olivier poussait au milieu des décombres de la cour. Nous le contournâmes et gagnâmes une maison inhabitée. Nous montâmes au premier et patientâmes.
Un premier Irakien apparut. Suivirent trois autres. Brandon ne me laissa pas le temps de concevoir le moindre plan. Il lança une grenade. Les quatre furent balayés par la déflagration. Mais cela avertit leurs camarades. Et eux furent bien plus prudents. Ils se planquèrent derrière le mur arrière de l’épicerie. Puis ils nous visèrent. Un projectile passa à quelques centimètres de mon oreille. D’autres arrachèrent des morceaux de béton qui nous tombèrent dessus.
Nous ripostâmes tant bien que mal. Les balles fusaient des deux côtés. Brandon voulut jeter une nouvelle grenade. Mais à quoi bon : la distance entre les Irakiens et nous était bien trop grande. Au mieux, elle atterrirait au milieu de champ de bataille.
J’allais me lever pour tirer une nouvelle salve quand un poids me tomba dessus. C’était Brandon. Je le repoussai. Mes doigts étaient poisseux de sang. Je me tournai vers mon ami. Il avait une main posée au-dessus du cœur, de l’écarlate s’échappait de la plaie. Comment était-ce possible ? Nous étions pourtant bien protégés par le mur. Je compris quand je découvris un trou : une balle avait réussi à le traverser.
— Barre-toi, m’ordonna Brandon.
— Je ne peux pas te laisser.
— De toute façon je suis foutu. Dégage et nique-moi tous ces salopards.
Afin de me permettre de filer, il jeta une nouvelle grenade. Je le regardai une dernière fois. Puis je pris mes jambes à mon cou.
***
Je traversai plusieurs habitations sans m’arrêter. Je débouchai sur une nouvelle rue. J’entendis un bruit de moteur. Je me retournai. Un véhicule léger fonçait dans ma direction. Je savais que je n’avais aucune chance contre lui si je restais là.
Je pris une ruelle sur la droite. Une sur la gauche. Encore une autre. Si je ne semai pas l’engin militaire, je le ralentis sérieusement. Je poursuivis donc mon slalom de rues autant que je le pus.
J’atterris dans une large avenue. Un T-72 venait du nord, un autre du sud. J’étais pris en sandwich. Je partis donc à l’est. Mais, là, le terrain était dégagé à perte de vue.
Les Irakiens me visèrent. Les balles fusèrent autour de moi. Je zigzaguai autant que je pus. Je me séparai de mon sac à dos, ne gardai que mon M16 et mes deux Browning.
Je me retrouvai dans ce qui restait du stadium de l’université. Je cherchai une cachette, un endroit où me mettre à l’abri. Rien. Pas un muret, pas un buisson, pas un arbre. Absolument rien.
Mon cœur battait la chamade. Je ne savais combien de temps je pourrais tenir ainsi. Les chars me suivaient. Je les entendais s’approcher inexorablement de moi.
Une explosion retentit dans mon dos. L’instant d’après, je fus soulevé du sol. Ils m’avaient lancé une roquette dessus.
La chaleur était intense. Mes habits brûlaient. Je brûlais. Je n’étais plus qu’une boule de feu qui voletait dans le ciel avant de se scratcher dans l’herbe du terrain de foot. Ma tête frappa la première. J’entendis mes cervicales craquer. J’expectorai une pluie de sang. Je roulai dans la pelouse. Un bras se brisa. Une jambe se tordit. Plusieurs côtes se brisèrent.
Je m’immobilisai enfin, sur mon dos en bouillie. J’observai pour la dernière fois le ciel étoilé. J’entendis des bruits de pas qui venaient dans ma direction. Un Irakien au visage imberbe se posta au-dessus de moi. Il pointa son AK-47.
— Foutu Américain, cracha-t-il avec un fort accent arabe.
Il appuya sur la gâchette.
***
Game over s’afficha en épaisses lettres rouge sang au milieu de l’écran.
— Hé merde ! râlai-je.
La mission était un échec. Il fallait tout recommencer.
— Prêt pour une nouvelle tentative, les mecs ? questionnai-je à l’aide de mon casque audio.
— Paré, répondit Martin à plus de cinq cents kilomètres de là.
— Prêt à en découdre, renchérit Brandon, le parigot de notre trio.
— Votre conducteur répond présent, acheva Schwarz-Müller, depuis son Allemagne natale.
— Dans ce cas.
J’appuyai sur la touche O de la manette de la PS5. Le colonel Drumont recommença son pitch.
C’était reparti.
[1] Véhicule tout-terrain sur roues surmonté d’une plateforme armée pouvant tourner à 360°.
[2] Mitraillette.
[3] Qui va là ?
[4] Déclinez votre identité.
[5] Automitrailleuse légère.
[6] La route est coupée. Faites demi-tour.
[7] Sortez du char.