Elle était là, buvait tranquillement. Elle n'était pas toute seule. D'autres l'entouraient, se désaltéraient aussi. Il fallait dire qu'il faisait très chaud aujourd'hui.
Moi, j'étais bien caché. Je pouvais la voir. Pas elle.
Je la suivais depuis un long moment. Je l'avais repérée alors qu'elle se baladait seule. Elle m'avait tout de suite plu. Elle était belle, châtain clair, un visage parfait, des jambes galbées, un corps de rêve. J'avais alors calé mon pas sur le sien, me servit de tout ce qui m'entourait pour rester invisible à ses yeux.
Parfois, elle s'était retournée. Elle ne m'avait jamais vu. C'est ce que je préférais dans l'histoire : la traque avant la mise à mort. J'étais certain qu'elle percevait qu'elle n'était pas seule, que j'étais là, quelque part, tapi. Un véritable fantôme. Je pouvais sentir sa peur. Je me nourrissais de sa peur. Cela faisait monter en moi le désir de tuer, de la tuer. Car, aujourd'hui, ce serait elle. Elle ne m'échapperait pas.
J'avais hâte d'en finir. J'en salivais d'avance. Croiser son regard chargé de peur. La voir trembler comme une feuille. La sentir se débattre pour m’échapper. Regarder la vie la quitter. Tout cela était si jouissif. Autant que le sexe. Non, mieux que le sexe.
J'aimais tuer. J'avais toujours été un formidable tueur. Mon père m'avait tout appris. On se transmettait ce savoir de père en fils. Et dans mon cas, la transmission avait été parfaite. J'avais ça dans le sang. J'aimais le sang. C'était mon péché mignon. Et elle allait être ma mignonne en ce chaud jour d'été.
Derrière elle, un gros balourd approcha. Il s'installa à sa droite. Il lui jeta un coup d'œil. Mais il n'avait aucune chance, elle ne mangeait pas de ce pain-là. Lui non plus d'ailleurs. Aussi, très vite, s'ignorèrent-ils l'un l'autre.
Moi, je ne la quittais pas des yeux. Elle serait ma nouvelle victime. Combien en avais-je au compteur ? Beaucoup. Énormément. Trop ? Non, il n'y en avait jamais trop. Jamais je ne m'arrêterai. Sauf si on venait à me capturer. Ou si la mort me tombait dessus. Mais pour l'instant, on me laissait faire. Alors, je faisais.
Elle s'écarta du balourd et se promena au milieu de la populace qui l'entourait. Elle n'adressa la parole à personne. Elle se contenta de déambuler, certaine d'être à l'abri parmi tout ce monde. Mais j'étais patient. Je savais qu'à un moment ou à un autre, elle partirait de son côté. Elle aimait être seule. Et j'aimais quand elles étaient seules.
Ma patience fut récompensée : elle s'écarta des autres et reprit ses déambulations.
Je la suivis. Son parfum embaumait l'air. Je me délectai de cette senteur qui éveillait des pulsions en moi : l'attrait, la gourmandise, l'envie de me repaître d'elle.
Un bruit de moteur résonna au loin. Il s'approchait. Je me cachai derrière un buisson. Elle, elle s'écarta pour éviter d'être écrasée. Elle regarda le bolide passer sans une once de peur.
La voiture fila au loin, disparut à l'horizon. Ma victime du jour suivit le même chemin qu'elle. Je lui emboîtai le pas.
Elle était magnifique. Sa robe était splendide, alléchante. Et cette grâce ! Elle avait dû en faire fantasmer plus d'un. Moi, en tout cas, elle éveillait un appétit qui ne demandait qu'à être rassasié. Vite de surcroît.
Nous marchâmes un long moment sous le soleil ardent. Elle ne semblait pas sentir la chaleur écrasante. Moi non plus : je ne pensais qu'à elle, à ce que j'allais lui faire subir, à mon châtiment qui serait à coup sûr mortel.
Elle s'arrêta de nouveau. M'avait-elle senti ? M'avait-elle entendu ? Pourtant, j'étais d'une discrétion inégalable.
Peu m'importait en fait. Car j'avais pris ma décision : je l'avais suffisamment traquée ; il était temps que je me dévoile.
Je sortis de ma cachette. Elle tourna la tête vers moi. Elle se figea. Pendant plusieurs secondes, nous nous observâmes. La peur monta chez elle, l'appétit chez moi.
Soudain, elle se mit à courir. Elle allait vite, très vite même. Mais il en fallait plus pour me distancer. J'étais un coureur-né.
Elle bifurqua d'un coup. Je dérapai, tournai et repris ma course.
L'espace entre nous se réduisit plus vite qu'elle ne l'aurait cru. À mesure que j'approchais, je sentais sa peur grimper.
J'haletai. Elle aussi. La chaleur nous trempa rapidement de sueur. Mais ni l'un ni l'autre n'étions prêts à capituler. Elle ferait tout pour sauver sa peau. Moi, je ferais tout pour l'avoir, la tuer.
Quand j’estimai le moment venu, je sautai. Un bond magnifique. J'atterris sur son dos. Nous roulâmes sur le sol. Elle tenta de se débarrasser de moi en me frappant avec ses jambes. Mais j'étais le plus fort. Je lui tranchai la gorge. Le sang se répandit en longs jets chauds.
Je me relevai et l'observai agoniser. Elle n'en revenait pas d'avoir été rattrapée. Jusqu'au bout, elle avait espéré s'en sortir. Mais, la course, ça me connaissait. Je la pratiquais depuis l’enfance. Et je m'étais entraîné des centaines de fois, des milliers même, afin de devenir un sprinteur qui aurait fait passer Usain Bolt pour une tortue quand moi j'étais le lièvre.
Bientôt, je fus entouré de curieux. L'un s'approcha de moi. Je rugis. Car il était hors de question que je laisse ma proie. Cette gazelle, c'est moi qui l'avais chassée. Je comptais m'en repaître jusqu'à être complètement repu. Après, ils pourraient prendre ce qui restait. Mais pour l'heure, elle était à moi, Samba, lion de la steppe africaine.