Christopher

Fournier

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Histoires offertes

La fille de Satan

Langue : Français

Genres : FantastiqueHorreurNouvelle

Âge : À partir de 18 ans

Avertissement(s) : Contient des scènes violentes

Temps de lecture estimé : environ 21 minutes

Licence : Licence Creative Commons - Attribution - Utilisation non commerciale - Pas de modification

Date de publication : 31/05/2023

Nombre de lectures : 6

Avril 1624.

Amalia épongea le front de Maegan. La future mère souffrait le martyre. Amalia lui avait donné plusieurs décoctions de plantes censées calmer la douleur. Mais Maegan hurlait de plus en plus à mesure que le petit se frayait un chemin vers la sortie.

La guérisseuse était inquiète. Pour la mère et l’enfant. Cela faisait trop longtemps que ce dernier avait débuté sa remontée du vagin maternel. Elle craignait le pire. Quant à Maegan, elle était au bord de l’épuisement. Elle n’avait que la peau sur les os et était d’une pâleur maladive.

Amalia plongea la main dans sa patiente. Elle pouvait sentir le petit approcher. Elle tenta de l’aider en écartant les parois. Après un ultime effort, la tête émergea. Elle était bleue. Le cordon ombilical était serré autour du cou. Amalia n’hésita pas : elle alla cueillir les épaules du bambin, arrachant les chairs de Maegan, et au prix d’intenses efforts, l’extirpa entièrement. Elle défit le cordon. Elle tapa sur les fesses du nouveau-né, dans l’espoir du cri tant attendu annonciateur de son entrée dans le monde des vivants.

Rien.

Elle appuya sur la paroi thoracique par petits à-coups, pria pour que le cœur se mette à battre. Rien n’y fit.

— Qu’est-ce qui se passe, Amalia ? demanda Maegan d’une voix faible. Pourquoi ne crie-t-il pas ?

Amalia abandonna sa tentative de réanimation.

— Je suis désolée, Maegan. Le petit est mort-né, répondit-elle d’une voix tremblotante.

— Ce n’est pas possible. Pas encore une fois. Hudson va devenir fou.

Amalia comprenait la réaction de Maegan. C’était le cinquième enfant qu’elle portait et tous étaient morts à la naissance. Amalia avait pourtant la réputation d’être une guérisseuse aguerrie. Seulement, elle n’avait jamais pu aider les Bennet à accueillir un bambin en pleine santé.

Maegan éclata en sanglots. Le boulanger dut l’entendre car il pénétra dans la chambre. Il était imposant, avec une carrure large, une taille de géant et une pilosité qui rivalisait avec n’importe quel ours mal léché.

— Encore un gamin mort ! s’écria-t-il en voyant le corps bleu de son fils.

Il regarda tour à tour sa femme et la guérisseuse.

— C’est d’ta faute ! T’es une sorcière ! accusa-t-il Amalia. Tu n’veux pas que j’aye une descendance alors tu nous as j’té un sort.

— Pourquoi ferais-je cela ? se défendit Amalia.

— Car tu m’hais.

— C’est sûr que je ne te porte pas dans mon cœur. Tu as une femme adorable, gentille, aimante. C’est à peine si tu la nourris. Pourtant, tu n’es pas dans la misère : le tavernier peut en témoigner vu le nombre de verres que tu t’enfiles chaque jour. En plus, tu cours après toutes les donzelles à peine pubères. Et que dire de tes incessantes tentatives de me mettre dans ton lit.

« Oui, je te déteste. Mais, jamais je ne prendrais la vie d’une âme innocente. Je suis une guérisseuse, pas une meurtrière.

— T’es une sorcière ! T’es habitée par l’Malin !

Il attrapa Amalia par le bras et la jeta dehors. Elle atterrit durement sur les pavés de la rue.

— Tu m’le payeras ! aboya-t-il alors qu’elle époussetait sa longue robe marron.

 

Mai 1624.

La cueillette avait été prospère. Amalia avait trouvé toutes les plantes dont elle avait besoin pour préparer ses potions. Elle avait même ramassé plusieurs ganodermes luisants qui seraient d’un bénéfice non négligeable contre les quintes de toux du petit Layton Warren qui ne faisaient que s’intensifier avec les beaux jours.

Elle préparait une décoction de valériane qu’elle consommait elle-même lors de ses menstruations douloureuses quand la porte de sa chaumière s’ouvrit en grand.

Deux hommes en armure pénétrèrent la bâtisse et se dirigèrent vers elle. Un homme rondouillard en robe rouge se planta dans l’encadrure de la porte.

— Amalia Randle, vous êtes soupçonnée de sorcellerie, déclara Winston Crampton. En tant qu’inquisiteur de Sa Sainteté Urbain VIII, j’ordonne votre arrestation en vue de votre prochain jugement. Emmenez-la !

Les gardes attrapèrent Amalia sous les épaules et la tirèrent hors de chez elle. Hudson Bennet se tenait dans le jardin, un large sourire sur les lèvres. À ses côtés, le père Quinton Fleming secouait la tête de gauche à droite, désolé de ce qui arrivait à la guérisseuse.

 

Cela faisait… elle ne savait pas combien de jours cela faisait qu’elle était enfermée dans la cellule humide de la prison de Birgham. Il n’y avait aucune fenêtre sur l’extérieur, juste une petite ouverture dans la porte qui donnait sur un couloir sans ouverture lui non plus.

Le confort était pour le moins spartiate. Une fine couche de paille dans un coin lui servait pour dormir. Pour ses besoins, un simple seau qui n’avait été vidé qu’une seule fois depuis qu’elle était là. Les odeurs d’urine et d’excréments se joignaient à celles des moisissures qui embaumaient l’air.

Son ventre criait famine. Elle n’avait mangé qu’un unique quignon de pain sec et dur. C’était il y avait plusieurs jours. Par contre, pour l’eau, ses gardes étaient plus généreux : il fallait coûte que coûte la garder en vie en vue de sa prochaine exécution. Car Amalia ne se faisait aucune illusion : elle allait être brûlée vive. L’inquisiteur Crampton était connu de sinistre réputation. Toutes les femmes dont il s’était occupé et qui avaient été accusées de sorcellerie avaient terminé sur le bûcher. Pas une n’en avait réchappé.

Elle avait déjà été interrogée deux fois. Enfin, battue aurait été le juste mot. Elle avait été rouée de coups. Pas par l’inquisiteur lui-même : il ne voulait surtout aucun contact avec une sorcière qui pourrait le faire dévier de sa foi en Dieu. C’était même pire que ça : Crampton n’avait jamais croisé le regard d’Amalia, comme s’il craignait qu’elle l’hypnotise, qu’elle lui retourne le cerveau.

Par contre, Cuthbert Dugan, son fidèle bras droit, n’avait pas hésité à la frapper. Tout son corps y était passé : ses jambes, ses bras, sa poitrine, son dos, son ventre. Seule exception, son visage : il fallait qu’elle reste présentable pour le jour de son procès.

Le bruit d’une clé insérée dans une serrure retentit dans la cellule. Amalia se recroquevilla dans un coin. La porte s’ouvrit. Un garde déposa deux tréteaux sur lesquels un second plaça une large planche. Dugan, Crampton et le père Fleming pénétrèrent dans la pièce.

— Amalia Randle, nous allons rechercher la Sigillum Diaboli, la marque du Diable sur toi, annonça l’inquisiteur.

— Mais je n’ai rien à voir avec le Cornu, cria-t-elle une nouvelle fois. Je ne suis qu’une simple guérisseuse qui soigne les gens avec des plantes.

— Si telle est la vérité, nous ne trouverons aucune trace du Malin sur ta peau.

Crampton fit un signe à son bras droit. Dugan attrapa Amalia et la souleva comme si elle ne pesait pas plus lourd qu’une plume. Il la plaqua avec violence sur la planche. Les gardes lui lièrent les jambes et les bras.

Dugan sortit un long couteau.

— Puis-je ? s’enquit-il auprès de son patron.

— Faites donc, répondit celui-ci.

Dugan planta la lame dans la robe d’Amalia et la fendit en deux, dévoilant sa poitrine parfaite puis son ventre et son pubis à la toison brune. Il tendit la main vers Quinton Fleming. Celui-ci lui remit une lanterne.

Dugan fit courir la lumière sur la peau blanche d’Amalia, examina le moindre centimètre-carré du corps. Il prit les seins dans la main, les écarta, en fit le tour.

Amalia avait envie de lui hurler de la laisser, que son comportement était indigne d’un homme. Mais elle s’abstint : elle avait appris de ses deux précédents interrogatoires que toute rébellion se soldait inévitablement par quelques coups bien placés.

Après un long moment, Dugan attrapa une lame sanglée à sa ceinture. Elle était plus fine et parfaitement aiguisée. Il attrapa les cheveux d’Amalia, tira dessus. Il fit courir la lame à leurs racines, la rasa de près. Quand il en eut terminé avec son crâne, il passa à ses aisselles puis à son entrejambe. Il pouvait se targuer d’être expert en rasage car il n’entailla à aucun moment la peau laiteuse d’Amalia.

Une fois toute trace de poils supprimée, il rangea son rasoir et reprit son observation. Il trifouilla sans aucune honte entre ses lèvres. Il pinça le clitoris, introduisit ses doigts dans le vagin, écarta les parois pour distinguer l’intérieur.

Amalia constata qu’il bandait. Crampton, lui, affichait un large sourire sur les lèvres, les yeux rivés sur l’entrejambe de la guérisseuse. Elle supposa qu’il devait être dans le même état d’excitation que son bras droit bien que son ample soutane cache les détails de son anatomie. Seul le père Fleming était inexpressif, le regard perdu vers un point invisible derrière Dugan.

— J’ai repéré plusieurs taches qui pourraient être la Sigillum Diaboli, annonça après un long moment ce dernier.

— Vérifions donc cela, proposa l’inquisiteur.

Il attrapa la croix en bois qui pendait au rosaire dans sa main. Il retira la partie basse qui dissimulait une fine aiguille. Il s’approcha d’Amalia en gardant une prudente distance afin qu’elle ne puisse le toucher. Celle-ci se mit à remuer sur la table improvisée.

— Tirez sur les liens, ordonna Crampton aux gardes.

Ceux-ci obtempérèrent. De son côté, Dugan envoya une claque dans la figure d’Amalia. Elle s’arrêta aussitôt de remuer.

— Tenez-la fermement. Je ne veux pas qu’elle me touche, commanda Crampton dont le sourire avait quitté le visage.

Dugan désigna une tache marron sous l’aisselle gauche d’Amalia. Sans aucune douceur, Crampton y enfonça son aiguille. La guérisseuse hurla. Une goutte de sang perla, coula sur la peau et termina sa course sur la planche.

— Ce n’est pas l’entrée du Cornu, déclara Crampton.

Il passa à une nouvelle tache près du nombril. Amalia éructa de plus belle. Idem pour celle sur son flanc gauche.

Crampton poursuivit le tour des traces désignées par Dugan. À chaque fois, Amalia cria sa souffrance. L’inquisiteur perdit patience à mesure qu’il parcourait le corps.

— Où caches-tu la Sigillum Diaboli ? aboya-t-il.

— Je ne suis pas l’objet de Satan. Je n’en ai pas, répondit Amalia.

Le représentant du pape pesta. Cependant, il ne partirait pas sans ce qu’il était venu chercher. Aussi piqua-t-il et piqua-t-il encore.

— Il ne reste plus que la paume de sa main droite, annonça Dugan, penaud que son maître soit toujours bredouille.

Crampton appuya tellement sur l’aiguille que celle-ci manqua traverser la main de part en part. Pourtant, Amalia ne sentit rien. Et pour cause : elle se l’était brûlée à l’âge de cinq ans en attrapant une casserole posée sur le feu ce qui avait retiré toute sensation dans cette partie de son corps.

— C’est une première pour moi ! C’est même mieux que la Sigillum Diaboli ! Elle a la main du Diable ! s’enthousiasma Crampton. D’habitude, je trouve par où le Malin entre en chaque sorcière. Mais là, il lui a laissé sa main. Je suis certain qu’elle s’en serve pour fourrager son sexe. Vile perverse !

Pour la première fois, il regarda Amalia dans les yeux.

— J’ai toutes les preuves qu’il me faut pour te condamner. Demain, tu seras jugée… Puis tu seras brûlée vive en place publique. Tout le monde pourra voir mourir la main de Satan.

— Mais elle a droit à un procès juste, s’offusqua le père Fleming.

— Elle en aura un, assura Crampton. Cependant, quand j’annoncerai que j’ai découvert qu’elle possède la main du Diable, je ne doute pas de son sort. Allons fêter cette extraordinaire trouvaille et surtout, ma nouvelle victoire contre le démon.

Crampton quitta la cellule, suivi de Dugan et des gardes. Quinton voulut détacher Amalia de la table.

— Laissez-la, commanda l’inquisiteur. Elle se libèrera avec sa main impie.

Il éclata de rire et remonta le couloir de la prison jusqu’à la surface.

 

N’ayant aucune vue sur l’extérieur, Amalia ne sut pas quelle heure il était quand les deux gardes vinrent la chercher. Elle avait passé la nuit attachée sur la table improvisée, la soi-disant main du Diable ne lui ayant été d’aucun secours.

Sitôt libérée, Amalia enfila la robe en toile de jute deux fois trop grande pour elle que lui avait jeté l’un des gardes. Puis elle fut emmenée à l’étage. Elle traversa un grand hall et atterrit dans une vaste salle tout en longueur avec des fenêtres aux épais barreaux verticaux. Malgré l’heure, il y avait foule. Tous les habitants de Birgham s’y amassaient, la regardaient avancer d’un pas mal assuré. Étaient-ils là pour la voir être condamnée au bûcher ? ou les avait-on fortement conseillés d’être présents ?

Elle reconnut plusieurs habitants qu’elle avait soignés au cours de ses dix années de guérisseuse. Rolland Nell, le boucher, dont elle avait sauvé la main gangrénée suite à une blessure qu’il n’avait pas correctement soignée, n’osa pas la regarder, baissa les yeux de honte.

— Mais tu n’as rien à te reprocher, voulut lui dire Amalia.

Plus loin, Merv Wilcock et sa femme Calista, n’eurent point peur de la fixer. Ils lui sourirent, apportèrent leur soutien à celle qui avait sauvé leur fils Byron après une chute dans le puits de la ferme familiale. Il y avait aussi les Banks, les Emerson, les Pitt… Pour tous, elle avait mis ses compétences pour les soigner, les guérir, les garder en vie. Pourtant, rares étaient ceux qui jetaient leurs regards sur sa pauvre carcasse.

Par contre, Hudson Bennet ne la lâcha pas une seconde. Son sourire s’agrandissait à mesure qu’elle approchait. Il se réjouissait de la voir tomber de son piédestal. Elle avait toujours refusé de se laisser saillir par lui. Elle allait le payer. Le prix ultime.

Celle qui brillait par son absence était Maegan. N’avait-elle pas eu le courage de venir ? ou Hudson lui avait-il interdit de venir, sans doute à coups de poing comme à son habitude ?

L’un des gardes attacha Amalia à un anneau planté dans le sol, devant une table derrière laquelle était assis l’inquisiteur. À sa droite, un homme d’un âge certain et à la bedaine tout aussi certaine se leva.

— Je suis le juge Odell Walder, lança-t-il à l’assistance. Je suis chargé de juger Amalia Randle ici présente pour sorcellerie. Inquisiteur Crampton, veuillez appeler votre premier témoin.

— J’appelle Hudson Bennet.

Le boulanger s’approcha et se planta devant les deux hommes.

— Vot’ Honneur, m’ssire l’Inquisiteur, c’te femme a j’té un sort à m’tendre et chère Maegan. Cinq fois, nous avons attendu not’ premier enfant. Cinq fois, il est né mort. Et les cinq fois, c’te sorcière était là.

— Qu’est-ce qui nous prouve qu’elle a jeté un sort sur vous et votre famille ? s’enquit le juge.

— Ça.

Hudson leva un petit sac en toile haut au-dessus de sa tête afin que la foule le voit bien.

— Donnez-le moi, ordonna Odell Walder.

— Votre Honneur, si j’étais vous, je n’y toucherais pas, intervint Crampton. Nous ne savons quelle sorcellerie il renferme.

Hudson ne craignait nullement ce qu’il contenait. Il délaça la petite bourse et la retourna. Une tête de coq à moitié desséchée tomba sur le sol.

— J’ai trouvé ça sous l’mat’las d’not’ chamb’. J’suis certain qu’c’est elle qui l’a mis là, reprit Hudson en désignant Amalia.

— Je n’ai rien à voir avec ça ! réagit la guérisseuse. Cela n’a d’ailleurs aucun pouvoir particulier.

— Donc tu reconnais que tu es au fait des choses ayant trait à la sorcellerie ! vociféra Crampton.

— Pas du tout. Il m’arrive parfois d’utiliser des os ou certaines parties des corps des animaux pour soigner les maux des malades. Mais il n’y a aucune trace de magie là-dedans. Je ne sais pas comment cela fonctionne, mais cela soigne les gens.

— Car c’est de la sorcellerie ! aboya l’inquisiteur. Si soigner le mal avec des morceaux d’animaux n’est pas de la sorcellerie, je ne sais pas ce que c’est. Tout le monde sait que les animaux sont des êtres faibles que le Diable peut sans difficulté pénétrer pour en salir les chairs. C’est pour cela qu’il faut cuire la viande, pour tuer tout le mal qu’il y a déversé.

— Nous savons tous cela, intervint le juge qui posa une main sur le bras de Crampton pour le calmer.

Celui-ci se rassit.

— D’autres éléments à apporter, monsieur Bennet ? s’enquit Walder.

— Oh qu’oui. M’femme n’est pas là aujourd’hui car elle est meurtrie d’avoir mis un cinquième enfant né mort par s’faute. Je n’sais pas si elle r’trouv’ra un jour toute sa tête.

— C’est sûr que, vu les coups que tu lui infliges, elle n’est pas prête d’être en pleine forme ! éructa Amalia. C’est toi qui devrais être à ma place. Tu bats ta femme, tu la trompes, tu picoles à longueur de journée, tu bafoues tous les commandements de Notre Seigneur.

— Je t’interdis de faire référence au Tout-Puissant ! cracha Crampton. Une créature du Diable n’en a point le droit.

— Je ne suis point la créature du Cornu.

— Et ta main du Diable.

— Elle a la main du Diable ? s’étonna Walder, une grimace de dégoût sur le visage.

— Avec messire Cuthbert Dugan, nous avons découvert qu’elle ne ressent aucune douleur dans la main. Cela ne peut signifier qu’une chose : c’est celle du Diable.

— J’aurai été confronté à tout dans ma carrière. Puis je la voir ?

Crampton fit un signe de tête à Dugan. Celui-ci s’avança à grands pas vers Amalia. Il lui attrapa le poignet. La guérisseuse tint le poing fermé.

— Tu ouvres ou j’découpe tes doigts, menaça le bras droit de l’inquisiteur.

Pour achever de la convaincre, il retira le long couteau qui pendait à sa ceinture et qui avait découpé sa robe la veille dans la cellule. Amalia déplia la main. La peau de sa paume était boursoufflée, avec des creux et des bosses dans tous les sens. Crampton dévoila l’épingle cachée dans son crucifix et la planta à plusieurs reprises dans la main d’Amalia. Elle ne broncha pas.

— Oh mon Dieu ! s’exclama le juge.

Il se signa à plusieurs reprises.

— Vous avez tous vu ? interrogea Crampton tandis que Dugan obligeait Amalia à lever le bras afin que la foule ait une parfaite vue sur sa brûlure.

Des murmures s’élevèrent dans la salle. Tous étaient incrédules. Tous connaissaient Amalia. Tous l’appréciaient. Mais elle leur avait menti. Elle portait la main du Malin. Elle était une fille de Satan.

— Brûlez-la ! lança une femme dans l’assistance.

— Chassez l’Mal d’Birgham ! renchérit un homme.

Amalia cessa de compter après la dixième demande d’exécution des habitants.

Le gros magistrat se leva et attendit le retour au calme.

— Moi, Odell Walder, juge du comté de Worfolk, reconnaît Amalia Randle coupable de sorcellerie et de dépravation avec le Malin. J’ordonne qu’elle soit brûlée vive demain, à midi, sur la place du village. Chacun devra être présent pour assister à l’exécution de la fille de Satan. Puis le père Fleming lavera nos rues des péchés de cette diablesse au cours d’une longue procession de purification.

 

Amalia était allongée sur la fine couche de paille qui lui servait de lit. Elle n’arrivait pas à dormir. Qui l’aurait pu en sachant qu’il allait être exécuté le lendemain ? Elle ne craignait pas la mort. Cela faisait partie du cycle de la vie. Mais comment pouvait-on croire qu’elle était une sorcière ? Elle connaissait les plantes, les recettes pour les conjuguer afin qu’elles révèlent leurs pouvoirs curatifs. Par contre, jamais elle n’avait invoqué un quelconque démon, le Cornu encore moins.

Elle n’était pas une fervente croyante. Elle n’allait jamais à l’église, estimait que, si Dieu existait, il n’avait pas besoin qu’on le prie à tout bout de champ et encore moins dans des temples qui, pour certains, avaient vu le sang couler au cours de leur construction. Dieu ne demandait à l’Homme que de vivre selon ses Commandements. Elle avait toujours cherché à s’y abstreindre. Elle n’avait jamais volé, encore moins tué. Elle n’enviait pas ses prochains, aimait tous les êtres vivants, animaux ou humains. Elle avait toujours cherché à faire le bien. N’était-ce pas ce que le Seigneur réclamait ?

Elle entendit un bruit de ferraille qui tombait sur le sol. Suivirent des bruits de pas. Crampton venait-il encore la torturer ? Pourquoi ? Elle était condamnée. C’est ce qu’il voulait, ce qu’Hudson Bennet voulait. Qu’attendaient-ils encore d’elle ?

La serrure se déverrouilla. Pourtant, elle était certaine ne pas avoir entendu qu’on y insérait une clé. La porte s’ouvrit.

— Vous !? s’exclama la guérisseuse à la découverte de son visiteur.

— Bonsoir Amalia. Si je suis là, c’est pour te faire une proposition. L’inquisiteur Crampton, le juge Walder et Hudson Bennet veulent voir en toi une sorcière, une de mes filles. Les habitants de Birgham sont convaincus que tu en es une. Alors, je te propose de le devenir.

— Comment ça une de vos filles ?

— Me croirais-tu si je te disais que je suis celui que tout le monde craint ? que je suis celui que vous appelez le Diable, le Malin, le Grand Satan, le Cornu ?

Amalia rit.

— Vous, jamais de la vie ! répondit-elle.

— Pourtant…

Dans les yeux de l’homme apparurent des flammes. Elles s’en échappèrent, virevoltèrent autour de lui avant de se poser sur ses mains tendues. Tout le corps s’embrasa. Amalia n’en croyait pas ses yeux. Satan existait. Il était devant elle. Le plus surprenant, c’est que jamais elle n’aurait pensé que c’était…

— Me crois-tu maintenant ? questionna le Cornu.

Les flammes s’éteignirent. Sa peau et ses vêtements ne souffraient d’aucune brûlure.

— Oui, je vous crois, bredouilla Amalia. Mais je…

— Je te propose de te venger de tous ceux qui t’ont amenée ici, la coupa-t-il. Qu’en penses-tu ?

— Mais comment ?

— En me donnant ton âme. En devenant l’une des miennes. Alors, je déverserai mon pouvoir sur ceux qui t’ont condamnée. Tu pourras les regarder mourir dans d’atroces souffrances.

— Moi aussi je vais souffrir, fit remarquer Amalia.

— Pas si tu me confies ton âme. Le feu brûlera tes chairs mais tu ne sentiras rien.

— Je ne sais pas.

— Ne penses-tu pas mériter vengeance ? L’inquisiteur Crampton, le juge Walder, Hudson Bennet ont sali ton nom. Ils t’ont traînée dans la boue, ont perverti tout le bien que tu as fait autour de toi.

« Pense à toutes celles qui, comme toi, ont été brûlées par l’inquisiteur sur de simples paroles mensongères. Crampton a écouté les dires de Bennett pour te condamner. Le juge Walder t’a condamnée sans aucune preuve que cette stupide main du Diable. Comme si j’allais donner ma main à quiconque. Je n’ai besoin de personne pour m’en servir. Et tous ces gens que tu as sauvés. Tu t’es donnée corps et âme pour eux. Comment te remercient-ils ? En te condamnant. Pour tout ça, tu mérites vengeance. Et je te l’offre sur un plateau d’argent.

« Je sais toutes les rumeurs qui pèsent sur moi. Mais je ne suis pas le tyran qu’on m’attribue être. Certes, j’ai trahi Dieu et son fils Jésus. Sais-tu pourquoi ? Car leurs commandements brident les êtres intelligents que sont les Hommes. Dieu n’en demande pas autant aux animaux qui nous entourent et qui sont pourtant ses créatures elles aussi. Ils peuvent copuler quand bon leur semble, tuer quand cela est nécessaire. La pie vole les autres oiseaux sans qu’il ne lui arrive rien. Le chat chasse la souris pour son simple amusement. Que fait Dieu ? Rien. Alors qu’à l’Homme il en demande tant.

« Si j’existe, c’est pour combattre la dictature de Dieu. Le tyran c’est Lui, pas moi. Avec moi, tu pourras t’adonner au plaisir de la chair, tu pourras tuer si tu le veux, tu pourras envier, jalouser, médire, maudire. Tu auras tous les droits. Notamment de te venger de ceux qui t’ont voulu du mal. Alors, acceptes-tu ?

Pouvait-elle accepter ? Le Malin avait raison : elle était guérisseuse comme sa mère et sa grand-mère avant elle ; elle avait sauvé nombre de villageois sans jamais rien demander en retour ; pourtant, il avait suffi à l’inquisiteur Crampton de parler de la main du Diable pour tout balayer d’un revers de la main. Elle allait être brûlée vive pour rien, pour une stupide vengeance d’Hudson Bennet, à cause de la foi corrompue par l’aveuglement de Crampton et la justice sans preuve de Walder.

— Oui, répondit d’une voix faible Amalia après un long moment de réflexion.

— C’est très bien.

Le Malin s’approcha de sa nouvelle capture. Il leva sa main, pouce dressé. Il le posa sur le front d’Amalia. Il dessina une croix chrétienne inversée. Le pacte était signé. Amalia était à lui.

 

La cloche de l’église sonna midi. L’inquisiteur, le juge Walder et le père Fleming étaient assis devant le bûcher au milieu de la place. Autour d’eux, les habitants de Birgham attendaient la représentation. Quelques-uns ne croyaient pas en la culpabilité d’Amalia. Mais ils se comptaient sur les doigts d’une main. Tous les autres, plus d’une centaine, étaient certains de sa parenté avec le Malin.

La porte de la prison s’ouvrit. Amalia émergea du couloir. Le soleil l’aveugla. Elle voulut s’arrêter le temps que sa vision s’acclimate. Le garde derrière elle la poussa.

Elle traversa la foule. Certains lui lancèrent des fruits pourris. D’autres la conspuèrent. D’autres encore lui crachèrent dessus. Elle croisa le regard d’Hudson. La haine l’avait envahi. Son épouse était toujours absente. Ce doit être la seule, estima Amalia.

Le bûcher se dressait devant elle. Les gardes l’obligèrent à monter dessus. L’un des deux grimpa à sa suite et l’attacha au piquet planté au milieu.

Le juge Walder se leva. La foule se tut derechef.

— Amalia Randle, le tribunal vous a condamnée à être brûlée vive pour sorcellerie et dépravation avec le Malin. En ce dix-neuf mai de l’an seize cent vingt-quatre, j’ordonne votre exécution.

Il fit signe à deux gardes cagoulés de procéder. Ils tendirent leurs torches enflammées vers la base du bûcher. Aussitôt le feu prit. Il s’étendit aux premières branches puis monta, dévora le bois d’un appétit vorace. Il s’approchait inexorablement d’Amalia. Elle se mit à tousser à cause de la fumée. Pourtant, quand les flammes touchèrent ses pieds, elle ne sentit rien. Quand elles attaquèrent sa robe de bure, elle eut l’impression qu’elles la caressaient.

Elle regarda la foule devant elle. Tous les habitants la fixaient, les yeux écarquillés d’horreur. Plus personne ne parlait. Seul le crépitement du bois était perceptible. Le plus terrifié était Crampton. Il avait déjà assisté à nombre d’exécutions. À chaque fois, la condamnée avait hurlé sous les assauts des flammes. Mais là, Amalia ne bronchait pas. Comment était-ce possible ?

Amalia aperçut Maegan à la porte de chez elle. Elle pleurait. Le cœur de la guérisseuse se retourna. La haine qu’avait fait naître le Diable en elle disparut. Comment avait-elle pu succomber à ses paroles ? Il était le Mal. Elle, elle ne souhaitait que faire le bien.

— Je ne veux plus qu’ils souffrent, hurla Amalia.

— Trop tard ! répondit Satan qui se leva d’un bond.

La soutane du père Fleming s’enflamma. Ses cheveux tombèrent. Des cornes émergèrent de son front. Ses ongles poussèrent en de dangereuses pointes. L’homme grandit jusqu’à atteindre les trois mètres. Il darda ses yeux d’un rouge incandescent sur la foule pétrifiée.

— Cette femme n’est en rien une sorcière. Elle n’a jamais eu ma main, n’a jamais été à moi. Jusqu’à cette nuit. Car, depuis, elle s’est liée à moi. Or je déteste qu’on s’en prenne aux miens, à ma famille. Aussi allez-vous tous mourir.

Les flammes du bûcher s’intensifièrent. Elles bondirent dans le ciel, se détachèrent du foyer principal et foncèrent sur les villageois. La foule se mit à crier. Chacun tenta de s’enfuir. Le feu fondit sur chaque habitant. En quelques secondes, les corps s’enflammèrent. Les peaux se boursouflèrent. Une odeur de cochon cramé envahit la place. Les hurlements fusèrent, révélèrent la souffrance de chacun. Les gens couraient dans tous les sens, se bousculaient. Certains se roulèrent sur le sol. D’autres sautèrent dans la Birgham River. Pourtant l’eau n’éteignit pas les flammes.

Les corps tombèrent les uns après les autres. Bientôt, la place ne fut plus qu’un immense cimetière à ciel ouvert.

Cependant, tous n’étaient pas morts : Hudson Bennet, Odell Walder, Cuthbert Dugan et Winston Crampton avaient réchappé aux flammes.

Le Malin se tourna vers eux.

— Hudson Bennet, tu as menti, reprit-il. Depuis le jour de ta naissance, tu n’es qu’une âme impure. Or, les âmes impures, j’adore cela. Tu es et seras toujours à moi.

Il tendit les bras vers le ciel. Le boulanger décolla du sol et flotta dans les airs. Satan ferma les poings et écarta les bras. Aussitôt, Hudson sentit qu’on le tirait aux deux extrémités comme si on l’écartelait. Dugan, Crampton et Walder entendirent la colonne vertébrale craquer. Puis les chairs se déchirèrent, les boyaux et l’écarlate se répandirent sur les pavés maculés de corps incandescents.

Le démon ouvrit les mains. Les deux morceaux de corps d’Hudson tombèrent mollement sur le sol.

— Juge Walder, enchaîna Quinton, vous avez condamné nombre de femmes sans aucune preuve, juste sur les allégations d’inquisiteurs comme Crampton. Vous ne méritez plus de vivre.

Fleming tendit les bras devant lui. Il rapprocha ses mains l’une de l’autre jusqu’à ce qu’elles se rassemblent. Walder sentit une vive douleur dans le crâne. Il avait l’impression que sa tête était prise entre deux étaux. Il hurla. Du sang coula de ses narines. Ses yeux se mirent à pleurer de l’écarlate. Ses oreilles suivirent. Puis les os se brisèrent.

Fleming sourit. Il applaudit une fois. La tête de Walder explosa, macula les deux derniers survivants de morceaux de cervelle.

— Votre tour est venu, Cuthbert Dugan. Vous aimez chercher des traces de mon entrée dans le corps des femmes que je soudoie. Me pensez-vous suffisamment stupide pour laisser une quelconque preuve de mon passage ?

« Oui, j’ai copulé avec des femmes. Je ne les compte même plus. Mais, jamais, je n’ai laissé ma marque. C’est leur âme que je cueillais et rien d’autre. Mais si vous voulez absolument des traces de mon passage, qu’il en soit ainsi.

Fleming chassa une mouche invisible de sa main droite. Aussitôt, les vêtements du bras droit de Crampton s’envolèrent, dévoilèrent sa musculature impressionnante. Satan s’approcha de lui. Dugan voulut reculer mais ses pieds étaient comme prisonniers d’énormes blocs de pierre. Le démon le toucha du bout de l’ongle juste au-dessus du sein gauche. Aussitôt, la peau se mit à crépiter, à boursouffler. Dugan hurla. Le Malin le toucha sur la cuisse gauche. Nouveaux crépitements. Suivirent une dizaine de touchers supplémentaires qui maculèrent l’épiderme d’immondes brûlures qui suintaient de lymphe.

— Terminons par deux dernières marques, annonça le Malin.

Il enfonça son ongle dans le nez de Dugan. Celui-ci se mit à fondre. Les chairs tombèrent devant les narines, les bouchèrent. Le Diable caressa les lèvres de Dugan. Lentement, elles fusionnèrent. Le bras droit de Crampton écarquilla les yeux. Il ne pouvait plus respirer. Il tenta de rouvrir sa bouche avec ses doigts, se griffa le visage. Rien n’y fit. Il attrapa son couteau, l’enfonça dans sa peau. La lame refusa de la transpercer. Il tomba à genoux, implora Quinton. Celui-ci le regardait suffoquer sans une once de pitié dans le regard. Après plusieurs minutes sans pouvoir respirer, Dugan bascula vers l’avant et s’affala sur les pavés. Il fut pris de derniers soubresauts avant de succomber.

— Nous voici arrivés au terme de cette magnifique vengeance démoniaque ! Inquisiteur Crampton, je ne comprends pas comment un homme comme vous peut être aussi bête. Et aussi couard. Car, jamais vous n’avez été capable de regarder vos victimes dans les yeux. Jamais vous n’avez osé les toucher. Par contre, les reluquer et vous tirer sur le poireau une fois seul dans votre chambre, cela, vous n’en avez jamais eu peur.

Quinton Fleming s’approcha de lui. Il attrapa la soutane rouge de Crampton et l’arracha en deux.

— Sais-tu ce que cela fait quand on enfonce une aiguille dans les chairs ? s’enquit le prêtre.

Crampton blêmit. Le Malin tendit son index droit, posa son ongle pointu entre les deux mamelons de l’inquisiteur. Lentement, il appuya dessus, l’enfonça dans le corps, jusqu’à tirer une plainte suraigüe du supplicié.

— Au nom du Père, dit Fleming.

D’un coup sec, il fendit la peau de haut en bas, jusqu’au pubis.

— Du fils.

Il retira son ongle et le planta dans le flanc gauche.

— Et du Saint Esprit.

Il tira un grand trait horizontal.

— Vive moi.

Le ventre de Crampton s’ouvrit en deux. Ses boyaux chutèrent à ses pieds. La dernière victime du démon tomba à genoux.

— Et je t’enlève la vue, toi qui a été si aveugle de toute ta vie, termina le Diable.

Il enfonça ses doigts dans les orbites de Crampton, jusqu’à ce que les globes oculaires explosent.

Le serviteur de Dieu poussa quelques derniers gargouillements avant de choir sur le pavé trempé de son sang et maculé de ses boyaux.

Satan se tourna vers le bûcher.

— Voilà, Amalia, je t’ai vengée comme convenu. Il est temps de partir d’ici. Viens.

Les liens qui maintenaient la guérisseuse tombèrent dans les flammes. Amalia avança vers le père Fleming. Quand leurs mains se touchèrent, ils disparurent dans le sol.

Le Malin avait rayé Birgham de la carte du royaume d’Irlande. Tous ses habitants avaient péri dans les flammes démoniaques.

Tous, sauf Maegan Bennet.

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