Christopher

Fournier

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Histoires offertes

Obsession

Langue : Français

Genres : HorreurNouvelleRéaliste

Âge : À partir de 16 ans

Avertissement(s) : --

Temps de lecture estimé : environ 9 minutes

Licence : Licence Creative Commons - Attribution - Utilisation non commerciale - Pas de modification

Date de publication : 19/04/2023

Nombre de lectures : 4

Je retournai mon steak dans la poêle. Je n’étais pas un grand cuisinier. Mes talents se limitaient aux pates – toutes prêtes, il va sans dire –, une omelette plus ou moins cuite, et réchauffer un plat au four à microonde. Mais il était hors de question que Jennifer crame mon morceau de viande. J’avais attendu si longtemps pour l’avoir que je voulais qu’il soit parfait. Or, Jennifer avait tendance à cuire à l’excès la barbaque si bien qu’elle devenait dure comme de la semelle.

J’avais rencontré ma petite-amie à la fac. J’étais alors étudiant en troisième année de médecine à l’UCSD[1]. Je n’étais pas le meilleur élève qui soit mais je me situais dans le peloton de tête. Cela m’avait permis d’être choisi comme assistant par l’un de mes professeurs. Ainsi, je dispensais quelques cours aux premières années, ce qui complétait mon maigre salaire d’interne au San Diego Hospital.

Il était près de dix heures du soir, une semaine avant Thanksgiving. J’avais encore passé ma soirée à la bibliothèque du campus, la tête plongée dans des bouquins de médecine. J’avais toujours été attiré par le corps humain. C’était même plus que ça : c’était une véritable adoration qui m’habitait. Je m’exaltais chaque jour de découvrir les merveilles qu’il renfermait. J’étais fasciné par ce mécanisme purement organique qu’aucune machine ne parvenait à égaler. Surtout, je vouais un véritable culte aux six cent trente-neuf muscles qui le composaient. Je les connaissais tous, du biceps brachial au sartorius en passant par le muscle platysma ou le long fibulaire. J’étais même l’un des rares étudiants de ma promo à avoir mémorisé leurs noms latins – musculus biceps brachii, musculus sartorius, platysma et musculus peronaeus longus ou fibularis longus.

Alors que je quittais le campus pour rejoindre mon logement étudiant, j’avais entendu une voix féminine.

— Mais tu vas céder, espèce de salaud, avait-elle crié.

Ayant peur que la jeune femme ne soit en train de se faire malmener – une étudiante avait été violée trois semaines plus tôt derrière un bâtiment de l’université –, j’avais couru dans la direction de la voix.

J’avais découvert une belle brune au teint hâlé assise par terre, qui tirait de toutes ses forces sur l’enjoliveur du pneu arrière de son énorme GMC.

— Vous avez besoin d’aide ? avais-je demandé.

— J’ai crevé. Je dois changer le pneu. Mais je n’arrive pas à retirer cette saloperie d’enjoliveur.

— Laissez-moi vous aider.

Fils de garagiste, je connaissais les principaux rouages d’une voiture. Chaque soir après l’école et tous les samedis, je m’étais retrouvé dans le garage familial et avais aidé plus d’une fois mon paternel. Aussi, changer une roue était-il un jeu d’enfant pour moi.

— Les gens essaient de tirer par les bords. Il faut au contraire utiliser les espaces du cache, avais-je expliqué.

J’avais placé les doigts contre la face interne de l’enjoliveur grâce à deux alvéoles prévues à cet effet. J’avais bandé les muscles.

Je n’étais pas Musclor, loin s’en faut. Adolescent, je m’étais même demandé s’il ne me manquait pas quelques muscles. Notamment quand j’avais appris que j’en possédais plus de six cents. Mon professeur de sciences naturelles m’avait assuré que je les avais tous. J’avais voulu le vérifier par moi-même : j’avais ouvert mon premier livre d’anatomie et les avais recherchés les uns après les autres.

J’avais essayé de me muscler. J’avais fait des pompes, soulevé des haltères, couru chaque matin pendant une heure. Mon frère Justin, mon antithèse physique, m’avait encouragé, m’avait même coaché pendant plusieurs semaines. Seulement, malgré nos efforts conjugués, j’étais resté une asperge rachitique.

Cela ne m’avait pas empêché de réussir à retirer l’enjoliveur de Jennifer. Cinq minutes plus tard, la roue de secours était montée.

— Il faudra vite faire réparer votre pneu, avais-je déclaré. Il serait bête que la roue de secours crève aussi. Je vous conseille de ne pas replacer l’enjoliveur pour l’instant. Attendez de remettre la roue d’origine.

— Laissez-moi vous offrir un verre pour vous remercier.

Je l’avais étudiée. Elle était grande, plutôt jolie, avec une belle carrure. Sans doute une nageuse. Aux muscles parfaitement dessinés. Excitant !

— Ce sera avec plaisir, avais-je accepté.

Le soir-même, j’avais pu admirer la formidable musculature de Jennifer. Cela m’avait excité. J’avais joui trois fois. Elle… je ne sais pas. Avais-je même réussi à la faire grimper aux rideaux ? Sans doute que oui puisque nous nous étions revus dès le lendemain. Et le surlendemain. Sans compter qu’elle était venue s’installer chez moi une semaine plus tard. Depuis, nous ne nous étions plus quittés.

Le beurre crépitait dans la poêle. Il brunissait lentement la viande, révélait son fumet alléchant.

— Je sens que je vais me régaler, lançai-je d’une voix forte comme si je m’adressais à un auditoire.

Virtuel cet auditoire puisqu’il n’y avait que Jennifer dans la cuisine. Et elle ne me répondrait certainement pas : le coup de poing que je lui avais envoyé en pleine face l’avait mise KO pour un bon moment.

C’était la première fois que je la frappais. Qu’est-ce que ça m’avait fait du bien ! Ça m’avait désinhibé. Un verrou en moi avait sauté. Depuis, je me sentais tout puissant. Rien ne pouvait m’arrêter. J’avais l’impression d’être un super-héros avec tous les pouvoirs jamais imaginés par les créateurs de comics. Alors, je les avais utilisés. J’avais adoré.

Tout cela à cause d’une engueulade. Une de nos nombreuses engueulades qui jalonnaient notre vie de couple depuis le premier jour. Comme à chaque fois, pour une broutille. Jennifer s’était encore plainte de mes horaires. Elle ne comprenait pas que les examens approchaient et qu’il fallait que je révise.

Elle, elle était artiste. Du moins essayait-elle. Elle avait fini son école d’art deux ans plus tôt. Depuis, elle tentait de percer dans l’univers de l’art abstrait. Il fallait reconnaître qu’elle avait un certain talent.

D’ailleurs, elle avait réussi à monter une exposition dans une galerie de Los Angeles quelques mois auparavant. Elle avait vendu toutes ses œuvres. Cela nous avait rapporté quelques milliers de dollars bienvenus. Elle avait quasiment réussi à rembourser l’intégralité de son prêt étudiant.

Avais-je râlé à l’époque quand je ne l’avais pas vu pendant plusieurs jours ? Non, pas une seule fois. Je l’avais laissée tranquille, l’avais laissée créer à sa guise. Alors, pourquoi gueulait-elle parce que je rentrais tard le soir ? Au moins, moi, je rentrais. Combien de fois avait-elle découché pendant qu’elle peignait et sculptait ? Elle avait même pris une chambre d’hôtel à Los Angeles pendant les quinze jours qu’avait duré son exposition. Je ne lui avais rien dit. Bien au contraire : je l’avais encouragée.

Mais bon, ce soir, j’avais mon morceau de viande. Enfin. Il était presque cuit. Encore quelques secondes de cuisson sur chaque face et il serait fin prêt. J’en avais l’eau à la bouche.

Nous avions partagé de bons moments ensemble. Nous avions pas mal voyagé. Nous gardions de bons souvenirs du Grand Canyon. Nous avions frissonné sur le Skywalk[2]. Puis nous avions fait la South Rim sur deux jours dont une mirifique nuit à la belle étoile. La randonnée avait été épuisante mais nous avait dévoilé des paysages que nous n’oublierions pas de sitôt.

Par contre, je n’avais pas été emballé par le Brésil. Pourtant, nous y étions allés en été. Nous avions pu admirer la magnifique plastique des autochtones à moitié dévêtus. Malheureusement, j’avais vite remarqué que les muscles des Brésiliennes étaient bien souvent tout sauf naturels. Les seins, les fesses, les mollets, siliconés. Le nez, le menton, les oreilles, refaits. Les pommettes, le front, les rides et ridules, injectés de collagène. Même les mecs affichaient de faux abdos, de faux pectoraux, de faux biceps et de fausses cuisses. Le Brésil comptait plus de silicone au mètre-carré que sur le reste de la planète tout entière.

Le voyage qui m’avait le plus plu était celui que nous avions fait à Paris. Jennifer m’avait emmené dans tous les musées de la capitale française. Toutes ces peintures de nus aux muscles saillants ! Toutes ces sculptures en marbre et en bronze aux détails alléchants ! J’avais bandé quasiment pendant les deux semaines de nos vacances. Nous avions baisé plus que de raison. Plusieurs fois par jour. J’avais été insatiable. Jennifer aussi.

C’était d’ailleurs l’une des qualités que j’appréciais le plus chez ma petite-amie. Elle n’était pas la dernière à vouloir coucher. Nous avions essayé un nombre incalculable de positions. Un jour, lors d’une brocante, nous étions tombés sur une vieille édition du Kamasutra. Nous avions hésité à l’acheter. Finalement, nous avions poursuivi notre chemin : notre imagination était suffisante pour varier nos séances de jambes en l’air.

Nous avions expérimenté plus d’un lieu pittoresque : les classiques escaliers et ascenseurs ; mais aussi les toilettes de l’université, ceux d’un restaurant, une laverie, une porte cochère, des musées, la plage, des parkings… Nous ne comptions plus le nombre de fois où nous nous étions fait surprendre. Heureusement, jamais par les flics – ça aurait fait mauvais genre d’avoir Exhibition sexuelle marqué dans nos casiers judiciaires !

Je retournai une dernière fois mon steak. La cuisson allait être parfaite. Je n’avais mis qu’un peu de graisse pour que la chair dore bien comme il faut. Par contre, ni sel, ni poivre, ni fines herbes : je voulais garder la viande nature, ne surtout pas altérer son goût.

Je regardai par la fenêtre de la cuisine. J’avais une vue magnifique sur les collines au sol rocailleux et à la végétation quasi-absente de Santee. Nous avions eu un bol incroyable de pouvoir vivre ici, dans une vaste maison avec piscine extérieure perdue au milieu de la cambrousse californienne.

Six mois plus tôt, Jennifer avait voulu quitter San Diego.

— Il y a trop de bruits, trop de gens, trop de voitures, trop de tout, avait-elle argué.

Elle voulait un coin tranquille où elle pourrait créer. Nous avions visité plusieurs maisons sur Summit Crest Drive à Santee. Toutes plus belles, isolées et inspirantes les unes que les autres. Jennifer était emballée. Malheureusement, les loyers s’étaient eux aussi emballés, jusqu’à atteindre des sommets plus hauts que ceux des collines qui les entouraient. Entre mon faible salaire et les revenus plus qu’incertains de Jennifer, nous avions dû renoncer à notre projet.

Puis, un jour où nous nous promenions sur la plage, nous étions tombés sur John Forman. L’amateur d’art au portefeuille dégueulant de billets de banque – des grosses coupures il va sans dire ! – avait acheté plusieurs œuvres de Jennifer lors de son exposition à Los Angeles. L’homme avait flashé sur son travail. Pour lui, elle était la prochaine Keith Haring. Il attendait ses futures peintures et sculptures avec impatience. Jennifer lui avait expliqué qu’elle ne trouvait pas l’inspiration à San Diego. Elle avait besoin d’une vue sur la nature, d’être plongée en son cœur pour exacerber sa créativité. Ni une, ni deux, John lui avait offert d’être son mécène. Il nous avait proposé de prendre en charge le loyer de la maison. Nous n’avions pas hésité. Le week-end suivant, nous devenions les nouveaux locataires d’une villa de quatre cents mètres-carrés sur un flanc de colline de Santee.

Aujourd’hui, je ne le regrettais pas. À San Diego, ma bagarre avec Jennifer aurait rameuté tous les voisins. Mais, sur Summit Crest Drive, les baraques étaient plantées à plus de cinq cents mètres les unes des autres.

Je lui avais foutu une claque, une deuxième. Elle m’avait envoyé un coup de poing dans le ventre. J’avais enchaîné avec un direct dans l’œil droit. La dispute s’était prolongée de longues minutes. Jennifer avait hurlé à s’en arracher les cordes vocales. Personne n’était venu à son secours. Moi, je n’avais pas crié une seule fois. J’avais frappé, attendu la réplique, y avais répondu. Ma lèvre inférieure s’était fendue, le goût métallique du sang avait chatouillé mes papilles gustatives, exacerbant mes sens. Dès lors, l’abdomen, la tête, les bras, les jambes, tout le corps de Jennifer avait subi mes attaques. À la fin, elle ne répondait même plus : elle encaissait et attendait que ça s’arrête, se contentait de vociférer. Quand j’en avais eu marre, j’avais décoché mon poing dans sa tempe gauche. KO dans la seconde, la gueularde !

Je souris à ce souvenir. Après ça, je m’étais senti tout-puissant. J’avais réalisé le rêve que je faisais depuis tant d’années. Dans quelques instants, il deviendrait réalité.

J’éteignis la plaque vitrocéramique. J’attrapai une assiette dans le placard du haut et y posai mon steak parfaitement cuit.

— Tu en veux ? demandai-je à Jennifer en lui mettant le plat sous le nez.

Elle, toujours inconsciente, ne réagit pas. Et quand bien même, je n’avais pas le moins du monde l’intention de partager avec elle.

Je contournai la table et m’assis à la place du chef de maison. Je contemplai mon steak. J’en avais l’eau à la bouche. Cela faisait des années que j’attendais ce moment. Enfin, il était arrivé.

Je saisis ma fourchette et mon couteau. Je piquai la viande et la fendis en un geste parfait. Elle se coupa comme du beurre.

— Je vais me régaler.

Jennifer, de l’autre côté de la table, bougea sur sa chaise. D’ici peu, elle reviendrait à la réalité.

— Pourvu qu’elle ne me gâche pas mon plaisir ! râlai-je.

Je déposai avec délicatesse un morceau de viande sur ma langue. Il fallait que je le savoure. Ce n’était pas tous les jours que je mangeais pareil délice. Je mâchai lentement, laissai le goût prodigieux éveiller mes papilles gustatives. J’étais sur un nuage. Après un long moment, j’avalai.

Jennifer ouvrit enfin les yeux. La peur l’habitait. Elle regarda sa cuisse, le sang qui s’en écoulait.

— Qu’est-ce que tu as fait, Blake ? cria-t-elle.

— Tu ne peux pas savoir comme tu es délicieuse, ma chérie. Ta cuisse est un pur délice, répondis-je.

Je lui montrai le contenu de mon assiette.

— J’ai hâte de passer à la suite, ajoutai-je.

Elle hurla.

Je coupai un nouveau morceau du muscle fémoral droit de Jennifer et m’en délectai.

Après, j’essaierais le biceps brachial. Ou alors le grand fessier. Jennifer avait les fesses les plus appétissantes que je connaisse, estampillées sans silicone !

J’avais hâte.

 

[1] Université de Californie à San Diego.

[2] Plateforme horizontale en verre en forme de fer à cheval plantée au sommet du Grand Canyon et qui surplombe le fleuve Colorado de plus de 1 200 mètres.

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